Vers un Internet belge à deux vitesses?

Le débat sur l’Internet à deux vitesses et la neutralité du NET a débuté aux États-Unis et en France il y a quelques mois d’ici. Mais en Belgique on en parlait jusqu’à présent assez peu. Et à chaque fois pour se référer à ce qu’il se passe dans ces autres pays.

Et pourtant, même si nous avons été épargnés jusqu’à présent par le sujet, il se pourrait que l’arrivée d’un certain Netflix ait fait évoluer les choses.

Petit rappel des faits

Nous commençons notre histoire en décembre 2014. Le nouveau gouvernement Michel est au pouvoir et un certain Alexander De Croo est nommé Vice-Premier ministre et ministre de la Coopération au développement de l’agenda numérique, des Télécommunications et de la poste.  Pour résumer, c’est lui qui est en charge de s’occuper des télécoms. Car oui, en Belgique les télécoms sont en lien direct avec la poste, logique n’est-il pas?^^

Tout se passait bien jusqu’au jour où BASE Company a annoncé la fin de ses produits fixes et de sa marque SNOW. En bon challenger du marché qui ne réussit pas, Base en a appelé aux autorités de régulations ainsi qu’à la personne en charge au gouvernement, monsieur De Croo donc.

En soi la réaction de Base et la volonté d’une meilleure régulation du marché ne peuvent qu’être saluées. Mais là où ça devient critique, c’est dans la suite d’événements qui en découlent.

Le ministre a pris acte de cette décision et de l’appel à l’aide de Base Company et a dû très certainement demander l’avis des différents acteurs, dont les opérateurs eux-mêmes. Parallèlement,les opérateurs ont décidés de commander de leur côté une étude sectorielle sur le marché au cabinet Arthur D Little. Impossible de savoir si cette étude avait été commandée avant ou après l’annonce de l’arrêt de SNOW, mais ces deux événements ont au moins eu le mérite d’interpeller le ministre.

Les résultats ont été présentés à la presse récemment. Cette présentation a eu lieu en présence des CEO des 5 plus gros opérateurs (Proximus, Telenet, VOO, Mobistar et Base) ainsi que de monsieur De Croo. Et c’est là que tout se corse. Ce que l’étude met en avant c’est que le marché des télécoms représente un secteur primordial de l’économie belge, mais que c’est aussi un des secteurs du numérique qui investit le plus et qui récupère le moins. De fait, les opérateurs ont de nombreuses contraintes qu’elles soient d’ordre législatives, politiques, technologiques,….qui les obligent à perpétuellement changer leur fusil d’épaule et ne les motivent pas à investir.

Le patron de Base (Jos Donvil) en a profité pour parler de la nouvelle taxe wallonne sur les mats GSM mise en place récemment et a évoqué la possibilité pour Base d’arrêter d’investir en Wallonie. On peut donc être amené à penser que devant un tel flot d’évidence, la décision serait de permettre au régulateur d’être beaucoup plus indépendant et de créer des règles fiscales plus avantageuses et poussant à l’investissement. Le rapport appelle d’ailleurs à ce type de réforme via ce qu’il nomme un « New Deal Numérique ».

Et bien que nenni ! Même si cela a visiblement été abordé, la proposition qui reste et qui ressort principalement est celle de faire payer les OTT (Over The Top). Les OTT sont ces sociétés qui utilisent le réseau Internet et la bande passante des opérateurs pour proposer leurs services (et faire de l’argent). Et ça, évidemment, ça ne plait pas aux opérateurs.

Ils ont d’ailleurs été plusieurs à aborder cette question durant la conférence. Il suffit de lire le contre-rendu du site Datanews pour s’en apercevoir. Cette solution semble convaincre en tout cas monsieur De Croo, en atteste sa visite récente chez BASE où il déclarait, je cite :

« Il faut les mêmes règles pour tous et pas seulement pour les opérateurs classiques. La réglementation actuelle est basée sur la situation du marché d’il y a cinq à dix ans. Il faut changer cela », a-t-il indiqué, citant notamment le développement d’opérateurs comme Skype, Netflix ou Facebook. « Nous sommes en train d’analyser cela avec Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT)»

Faire payer les OTT ? Pourquoi c’est une mauvaise idée

Mais en fait pourquoi est-ce un problème de faire payer ces sociétés ? Après tout elles se font de l’argent sur le dos de nos sociétés belges qui sont obligées d’investir encore et encore pour pallier à la demande croissante de ressources. Et puis après tout, ils ont déjà tellement d’argent.

Et la neutralité du Net dans tout ça ? Vous en avez déjà entendu parler ? Non ? Je vous invite dans ce cas à consulter la vidéo ci-dessous. Vous verrez, c’est à la fois drôle et intéressant. Il s’agit d’un sketch de l’animateur John Oliver dans on talk-show Last Week Tonight diffusé aux Etats-Unis sur la chaîne HBO. Il y parle justement du problème qui nous préoccupe dans ce billet.

http://www.dailymotion.com/video/x2w51r4

Alors, convaincu ? Le risque de ce genre de pratiques est de voir débarquer un Internet à deux vitesses où ceux qui payent bénéficieront d’un bon service et ceux qui refusent (ou n’ont pas les moyens) se verront brider. Que ce soit au niveau des OTT ou des clients, laisser cette décision aux opérateurs est problématique.

Un exemple concret : Telenet avait déjà tenté par le passé de faire payer Netflix pour utiliser pleinement sa bande passante, on peut très bien imaginer que VOO fasse pareil. Et si Netflix refuse ? VOO et Telenet étant également devenu des OTT à leur manière, il leur suffirait d’avantager leurs services et contenus maisons, rien de plus simple (Play, Play More et BeTV Go).

Un autre cas de figure peut également être envisagé. Il peut être décidé de laisser ça entre les mains des politiques et de faire ça sous la forme d’une taxe à l’innovation (par exemple). Mais sur quelle base taxer ses services? En effet, généralement ceux-ci ont leur siège social à l’étranger (Netflix par exemple a implémenté son siège social européen au Luxembourg puis aux Pays-Bas).

Imposer une « taxe Google » comme cela a été le cas au Royaume-Unis? À l’échelle d’un pays comme la Belgique cela serait dérisoire et priverait les utilisateurs de ces services. Netflix n’a pas eu besoin de la Belgique pour construire son business model et peut très bien s’en passer. Il faudrait une décision européenne pour avoir réellement du poids.

La solution doit venir d’ailleurs

Lors de la conférence de presse du 12 janvier, les opérateurs ont interpellés le ministre au sujet des OTT et plusieurs ont clamés qu’ils devaient être traitées comme des opérateurs, avec les mêmes contraintes et les mêmes obligations légales mais aussi fiscales. Il n’était pas simplement question de faire payer, mais plutôt de demander au gouvernent d’intervenir et de prendre les décisions qui s’imposent.

Une des pistes de solution serait de mettre ce dossier entre les mains du régulateur. Si un organisme indépendant s’occupait de récolter l’argent auprès des OTT et de décider de la juste distribution aux opérateurs, on arriverait peut-être à une solution qui conviendrait à tout le monde. Cela reviendrait à demander aux OTT de participer au développement des réseaux et de l’infrastructure.

Mais (car oui, il y a un mais) :

– Le régulateur doit avoir plus de pouvoir et d’indépendance qu’actuellement. Cette solution ne fonctionnera que si le régulateur peut prendre des décisions et les imposer aux opérateurs.

– Encore une fois, pour être suffisamment forte et efficace, cette décision doit se faire au niveau européen.

– La Belgique est dans cette situation étrange où les gestionnaires de réseaux sont également des opérateurs. Si la rétribution doit aller à ces sociétés, elle doit servir uniquement aux investissements dans le réseau et non pas à des fins de marketing ou de développement de la partie commerciale.

Croire que faire payer les OTT résoudra simplement tous les problèmes est une utopie. Il faudra plus que ça. Et je ne parle même pas de la neutralité du Net qui est soi-disant si importante aux yeux de nos chers opérateurs. Ont-ils réellement compris ce que signifiait ce terme? J’en doute. Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur ce sujet, je vous invite à cliquer ici et là.

N’hésitez pas à réagir à ce sujet dans les commentaires. Tout n’a probablement été dit dans ce billet et mon but n’était pas d’apporter une solution toute faite mais plutôt d’ouvrir un débat.

Sources :

http://datanews.levif.be/ict/actualite/les-operateurs-tirent-la-sonnette-d-alarme-pour-protester-contre-la-reglementation-gouvernementale/article-normal-360937.html

http://datanews.levif.be/ict/actualite/les-operateurs-tirent-la-sonnette-d-alarme-pour-protester-contre-la-reglementation-gouvernementale/article-normal-360937.html

http://datanews.levif.be/ict/actualite/base-va-interrompre-ses-investissements-dans-le-reseau-wallon/article-normal-360871.html

http://www.basecompany.be/fr/a-propos-de-nous/presse/base-company-wenst-uitspraken-rond-toekomstige-investeringen-in-.html

http://www.7sur7.be/7s7/fr/4133/Multimedia/article/detail/2181874/2015/01/14/De-Croo-veut-modifier-la-legislation-sur-les-telecoms.dhtml

http://datanews.levif.be/ict/actualite/telenet-souhaiterait-que-netflix-paie-pour-sa-solide-consommation/article-normal-295609.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexander_De_Croo

http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/09/10/01007-20140910ARTFIG00284-netflix-kickstarter-et-etsy-manifestent-contre-l-internet-a-deux-vitesses.php

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/05/15/les-etats-unis-ouvrent-la-porte-a-un-internet-a-deux-vitesses_4419588_651865.html